23 Avril 2020
Cet article a été publié initialement le 20 avril 2020. Il a été mis à jour le 23 avril 2020 (ajout du paragraphe "Le journal Le Soir tombe dans le panneau")
Aller à l'article de Skeptical Raptor
Le 13 avril 2020, l'association de fait antivaccin Initiative Citoyenne a adressé une série de questions à la Première Ministre de la Belgique, Sophie Wilmès, ainsi qu'aux divers Ministres de la santé belges (oui, la Belgique est un tout petit pays, mais sa complexité institutionnelle fait que 9 Ministres possèdent des compétences en matière de santé en Belgique).
Il s'agit d'un document de 11 pages, dont 6 sont consacrées aux sources et annexes. Six grandes questions sont posées à la Première Ministre et une série de sous-questions viennent étoffer les paragraphes du document.
Il est presqu'inutile de dire que les questions posées sont très à charge. Venant des fanatiques antivaccins du blog Initiative Citoyenne, cela n'a rien de surprenant. En voici deux exemples :
"Quelles mesures avez-vous prises pour éviter pareille incurie, à propos de l’absence de masques ? Pour rappel, un stock de 6 millions de masques (FFP2), a été détruit en février 2019 [17], sans être remplacé."
"Cela consiste-t-il [le confinement] à museler les libertés, empêcher l’accès aux soins, autres que ceux prévus pour le coronavirus, empêcher la justice de fonctionner, les écoles d’enseigner, les familles de se retrouver ?"
Soyons clair. Initiative Citoyenne a parfaitement le droit de poser ces questions. Elles usent de leur droit à la liberté d'expression. Ce même droit qui leur permet de propager la pire désinformation qui soit via leur blog, et également, quotidiennement via leur compte Facebook. Une désinformation pourtant potentiellement mortelle.
Cependant, quelles que puissent être les réponses de la Première Ministre, à supposer qu'elle réponde, ce qui est peu probable, Initiative Citoyenne s'en contrefoutra royalement. L'objectif est de faire parler d'eux. C'est malheureusement réussi. C'est du marketing, du show antivaccin. Rien de plus. Initiative Citoyenne n'attend, sincèrement, aucune réponse de la Première Ministre et il est probable que même si une réponse leur était fournie, il y ait de grandes chances pour qu'ils la rejettent, qu'ils ne soient pas d'accord avec elles. Ces personnalités ont un avis très tranché sur les questions posées. Généralement, quand on pose une question, c'est parce que l'on manque d'informations, ou parce que l'on veut confirmer son à-priori sur une problématique. Ce n'est nullement la volonté d'Initiative Citoyenne dans le cadre de cette lettre.
Le document est signé par Sophie Meulemans, Muriel Desclée et Marie-Rose Cavalier, qui sont les co-fondatrices du blog antivaccin Initiative Citoyenne. Il est également signé par Eric Beeth, médecin généraliste. Ce dernier fait partie d'une association de professionnels de la santé remettant en cause la version officielle des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Il avait déjà rédigé une série de questions adressées aux autorités belges à l'époque de la grippe A/H1N1, pour le compte d'Initiative Citoyenne. Il est aussi signé par Pascal Sacré, médecin anesthésiste, récent auteur d'un long article décrivant les (supposés) liens/conflits d'intérêts de différentes institutions (dont l'OMS) et qui appelle à entrer en guerre "non pas contre un virus, mais contre la malhonnêteté, la corruption, le mensonge et l’immoralité qui poussent les personnes qui devraient nous protéger à ruiner nos santés au nom de leur profit." Enfin, il est signé par Kris Gaublomme, médecin homéopathe et président de l'association antivaccin Preventie Vaccinatieschade. C'est un fanatique antivaccin flamand, président du lobby européen antivaccin EFVV, et qui s'est notamment illustré l'année dernière en recommandant de ne plus vacciner contre la rougeole.
Malgré que certaines questions soient fortement chargées, il est croustillant de constater la relative retenue et la tentative de décence de ces personnalités au travers de ces questions. Il est vrai qu'habituellement, Sophie Meulemans, pour ne citer qu'elle, n'est pas avare en critiques particulièrement acerbes et violentes à l'encontre des politiques (et surtout, envers les membres du parti politique MR, dont fait précisément partie la Première Ministre Sophie Wilmès). Pas d'accusations franches de corruption du politique, de ces liens avec les médias, le monde de la finance et de l'industrie pharmaceutique. Pas d'accusation franche de mensonges. Pas d'accusation directe de volonté de manipuler la population pour l'asservir, l'empoisonner, la rendre malade, stérile, hébêtée, esclave, ... Rien de tout cela dans ce document. C'est pourtant le discours quasi-quotidien de cette fanatique. Le discours du document, lissé et, à priori, amplement sourcé, est certainement destiné à essayer de convaincre les moins conspirationnistes, les moins tordus. Le document sert de technique de ce que les anglophones appellent le "JustAsking". Ils ne font "que poser des questions". Les antivaccins adorent poser des questions chargées, c'est l'une de leurs caractéristiques.
Ce document, bien sûr largement relayé dans la communauté antivaccin, a également eu un relais important et inattendu. Lors de la séance de questions-réponses avec les journalistes lors de la conférence de presse de Sophie Wilmès annonçant la poursuite du confinement en Belgique, la première question posée a été celle de Alexandre Penasse, rédacteur pour le magazine "alternatif" Kaïros. Sa question chargée (il avait récité en préambule de sa question le CV d'une série de personnalités impliquées dans les décisions politiques) remettait clairement en cause la légitimité démocratique des décisions politiques liées à la gestion de la pandémie. Malheureusement, nombre de médias (y compris, "traditionnels") ont relayé cet événement pour en faire un buzz médiatique. Malheureusement, ce magazine a lui-aussi publié, sur son site internet le document comprenant la série de questions émanant d'Initiative Citoyenne. Les antivaccins ont réussi un coup magistral. Faire parler d'eux.
Le journal Le Soir a publié un article le 22 avril 2020 pour relayer la propagande déguisée de la lettre ouverte adressée à la Première Ministre, Sophie Wilmès. Ceci n'est pas Initiative Citoyenne ne peut que déplorer cette publicité offerte gratuitement par un des médias belges d'information les plus consultés à une organisation antivaccin dont l'unique but, est de discréditer, de quelque manière que ce soit, la vaccination en général, en dépit des preuves. Ceci n'est pas Initiative Citoyenne a réagi en envoyant un email au journal Le Soir afin d'expliquer la situation et de leur demander de retirer l'article de leur site web.
Cet article est toujours en ligne et Ceci n'est pas Initiative Citoyenne n'a reçu aucune réaction à son email de la part du journal Le Soir, à l'heure actuelle.
Depuis lors, Skeptical Raptor a publié un article qui répond à plusieurs sous-questions posées par le document d'Initiative Citoyenne. Ceci n'est pas Initiative Citoyenne vous en propose un large extrait.
Avant de s'y plonger, il est à noter que, et c'est vraiment regrettable (mais pas du tout surprenant), Initiative Citoyenne aurait pu préciser qu'un vaccin, pour être mis au point, requiert de nombreuses années de recherches et d'essais cliniques dans un contexte "normal" (Skeptical Raptor parle de 5 à 10 ans, quand tout se déroule idéalement, ce qui est rarement le cas). Eux, les champions auto-proclamés de l'information indépendante sur les vaccins, auraient pu l'évoquer quand ils évoquent les "étapes court-circuitées au motif de l’urgence". Cela aurait permis à leurs lecteurs de comprendre que les vaccins, avant d'être commercialisés (et également en post-commercialisation) font l'objet de contrôles et d'une réglementation stricts. Mais cela va totalement à l'encontre de leur propagande habituelle sur le sujet.
On notera aussi l'utilisation massive du cherry-picking dans les sources qu'ils utilisent. A nouveau, rien de surprenant. C'est notamment le cas quand ils évoquent l'interview de Charlotte Martin, spécialiste en maladies infectieuses, pour insinuer que le futur vaccin tuera plus de personnes qu'il n'en sauvera.
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Voici le calendrier normal de développement d'un vaccin:
0-24 mois, phase préclinique. C'est la période de temps où les scientifiques tentent de déterminer s'ils peuvent identifier une partie du virus qui stimule la mémoire immunitaire afin que le système immunitaire puisse rapidement détruire le pathogène avant qu'il ne puisse nuire. Ils doivent également isoler et cultiver un grand nombre de virus à utiliser dans les études précliniques.
Ces étapes aideront les scientifiques à comprendre les caractéristiques et la physiopathologie du SRAS-CoV-2 chez l'homme. Puisqu'il serait contraire à l'éthique de faire ces études sur de vrais humains, les chercheurs doivent développer un modèle animal qui imite un humain. De plus, les chercheurs doivent déterminer si le vaccin est sûr et déclenche une réponse immunitaire adaptative dans ce modèle animal. Pour le vaccin contre le SRAS, des furets ont été utilisés, car leur physiologie et leurs réponses immunitaires sont similaires à celles des humains, il pourrait donc être utilisé pour un vaccin COVID-19.
24 mois, application IND. L’entreprise commanditaire (probablement une grande entreprise pharmaceutique) doit présenter une demande de nouveau médicament expérimental (IND) au Center for Biologics Evaluation and Research (CBER) de la FDA pour commencer les essais cliniques. Le CBER examine l'IND, qui comprendra des données précliniques, et le commandaitaire peut procéder à l'essai clinique dans les 30 jours si la FDA ne trouve pas de raison de l'empêcher d'avancer. C'est le processus aux États-Unis, mais c'est à peu près la même chose dans la plupart des pays développés.
24-60 mois (ou plus), essais cliniques. L'entreprise commanditaire doit ensuite obtenir l'approbation de l'Institutional Review Board (IRB) pour procéder aux essais cliniques (voir cet article pour plus d'informations sur le processus).
Ces études cliniques doivent passer par trois phases comme tous les médicaments, bien que le processus puisse être raccourci si les données sont très claires et qu'il existe un besoin public (comme la pandémie COVID-19). Les essais cliniques proposés seront publiés sur un site du gouvernement américain qui suit tous les essais cliniques dans le monde (et doivent y être publiés avant qu'un médicament puisse obtenir l'approbation de la FDA américaine).
Les essais cliniques de phase 1 incluent généralement une centaine de patients en bonne santé (c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de comorbidités et ne souffrent généralement pas de problèmes de santé chroniques). Cette étude n'est pas randomisée ou aveugle, car il n'y a qu'un seul groupe, ceux qui reçoivent le vaccin. Les essais cliniques de phase 1 donnent rarement des informations sur l'innocuité et l'efficacité du vaccin - ils ne montrent aux chercheurs que les signaux de sécurité vraiment importants, s'ils existent.
Les essais cliniques de phase 2 incluent généralement environ 200 à 300 patients. Cette étude est un essai randomisé, en double aveugle, trop petit pour observer de petites différences d'efficacité et de sécurité. Cependant, cela aide les chercheurs à déterminer s'il existe suffisamment de données pour aller de l'avant.
Les essais cliniques de phase 3, parfois appelés études pivots, incluent environ 2 à 3 000 patients. Ces études doivent être randomisées, en double aveugle, contrôlées par placebo (ou par rapport à un contrôle standard de soins).
Les essais cliniques de phases 2 et 3 sont souvent publiés dans des revues à comité de lecture (à moins qu’ils n’aient rien montré, le vaccin est alors mis de côté ou retravaillé). Parfois, les deux phases sont combinées, mais c'est rare.
Malgré les affirmations vraiment étranges de la communauté antivaccin, les essais cliniques de phase 3 sont approfondis et statistiquement puissants. Ils nous permettent vraiment de savoir si un vaccin est sûr et efficace.
60-78 mois, examen réglementaire et approbation. Une fois toutes les études précliniques et cliniques terminées, l'entreprise commanditaire doit faire une demande de licence de produits biologiques (BLA) au CBER. Bien que ce processus se fasse aux États-Unis, il est similaire dans la plupart des autres pays (et certains pays acceptent l'examen de la FDA pour leur propre pays).
Dans le même temps, un plan de fabrication doit être développé. Les gens semblent penser qu’un vaccin est simple à fabriquer, mais ce n’est pas vraiment le cas. Il pourrait y avoir une surcapacité à fabriquer 200 millions de vaccins contre le coronavirus dans le monde, mais ce n'est pas beaucoup. Une option serait de convertir des lignes de fabrication liée à la production d'autres vaccins importants comme le ROR ou le dcaT, mais c'est certainement un mauvais choix.
Ainsi, de nouvelles installations de fabrication devront être construites afin d'avoir plus de capacité. Bien entendu, ces installations doivent également être examinées et approuvées par les autorités de régulation.
La chronologie que j'ai fournie ci-dessus est généralement celle que je pense être assez optimiste. Si quelqu'un m'avait demandé il y a un an, avant que nous sachions quoi que ce soit au sujet de COVID-19, de lui dire combien de temps il faudrait pour mettre un vaccin sur le marché à partir de zéro, j'aurais répondu: "5 à 10 ans".
Il y a plusieurs réponses à cela, mais je vais en énumérer juste quelques-unes.
Encore une chose - ignorez le discours qui sort de la bouche de n'importe quelle personne associée à une entreprise qui développe un vaccin. Point. Ignorez-la. Je ne dis pas qu'ils mentent, mais ce que je dis, c'est qu'ils ont précisément une audience - leurs investisseurs et leurs actionnaires.
Ils peuvent augmenter leurs cours boursiers en surestimant les résultats ou en compactant les délais. Moderna, qui met au point un vaccin à ARNm pour le COVID-19, a récemment déclaré que son vaccin serait disponible pour les professionnels de la santé d'ici la fin de 2020. Oui, c'est vrai.
Comme le Dr Peter Hotez, MD, Ph.D. a récemment déclaré :
"Les biotechnologies sont très agressives dans leurs communiqués de presse. Ce qu'ils font, c'est parler à leurs investisseurs. Je pense que vous devez dissocier cela de ce que pense la FDA. Les souhaits du PDG d'une société biotechnologique ou pharmaceutique ne signifie rien pour moi. C’est ce que les chercheurs cliniques découvrent en collaboration avec la FDA qui compte."
De plus, les vaccins à ARNm de Moderna ne se sont jamais révélés efficaces (ou sûrs d'ailleurs) chez l'homme. Encore une fois, le Dr Hotez dit:
"Sans avoir les données d'efficacité et de sécurité, je pense que vous devez faire très attention aux déclarations audacieuses comme celle-là. Comme j'aime souvent le dire, ces vaccins à base d'acide nucléique existent depuis 30 ans et ils sont très prometteurs, ils fonctionnent sur des animaux de laboratoire, mais, historiquement, ils n'ont pas bien fonctionné chez l'homme. Peut-être y a t-il maintenant des modifications pour améliorer cela. Attendons de voir."
Le fait est que Moderna essaie de faire tourner la tête de ses investisseurs, mais ils ne font pas pas état de manière responsable les preuves scientifiques de leurs affirmations. Et si vous étiez un professionnel de la santé, prendriez-vous un vaccin qui n'a pas d'efficacité connue et des problèmes de sécurité inconnus ? Je ne le ferais pas.
Je pense que tout le monde demande, voire exige, qu'il y ait une méthode pour accélérer le calendrier de développement du vaccin contre les coronavirus. Habituellement, ils veulent l'accélérer en:
Une dernière chose que le Dr Hotez a dit à propos de la FDA:
"Mais la branche de la FDA appelée Center for Biologics Evaluation and Research existe depuis un certain temps et compte certains des scientifiques les plus intelligents en matière de vaccins avec lesquels j'ai jamais travaillé. Je suis relativement confiant sur le fait qu’ils ne feront rien qui mettrait en danger la santé et la sécurité des Américains."
Et c’est pourquoi je doute que ce processus puisse ou va être précipité.
[...]
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